ESS et innovation sociale : (re)faire commun depuis les territoires

L’innovation sociale (IS) émerge dans les années 1980 à l’échelle internationale, comme un dépassement de la seule innovation technologique. Sa définition oscille entre une conception centrée sur la mise en marché de l’intervention sociale et sur la formalisation d’un modèle de développement plus participatif et égalitaire. Sur le terrain, elle s’exprime à travers des expérimentations multiples qui sont le fruit d’initiatives collectives à l’échelle locale pour (re)faire commun.
Dans un contexte de polycrise, elle prend toute son acuité pour co-construire des solutions en faveur d'une transition juste. Ancrée dans les territoires, elle est le plus souvent le produit d’alliances suscitées par des organisations de l’ESS. Au fait des besoins locaux, celles-ci promeuvent des mécanismes qui articulent de façon volontariste, projet social, mobilisation collective et dynamique économique.
L’innovation sociale recouvre tout autant les projets qui croisent l’insertion par l’activité économique et le réemploi, que ceux concernant la relocalisation de l’alimentation, l’élaboration de plateformes numériques pour mettre en lien (comme notre partenaire J'accueille by Singa) que les coopérations territoriales à travers les PTCE, la microfinance solidaire que la solidarité internationale, le prendre soin dans les établissements d’accueil pour personnes âgées, que des coopératives d’habitants pour l’énergie partagée.
Agir localement, inspirer largement
Ainsi l’IS est sociale d’un triple point de vue :
- par sa finalité : améliorer la situation de celles et ceux qui en ressentent le besoin, apporter des réponses nouvelles à des besoins sociaux peu ou mal satisfaits.
- par son processus : mettre en lien, faire coopérer les acteurs, coconstruire avec les parties prenantes. Elle suppose une gouvernance partagée.
- parce qu’elle émerge par le bas, fruit d’une mobilisation collective faite d’expérimentations et de tâtonnements.
Promesse de changement et d’émancipation, elle est toujours marquée par une forte incertitude sur ses résultats, le projet s’ajustant sans cesse. Enfin son modèle socio-économique est fragile ; il repose sur une hybridation des ressources et ne peut faire l’économie d’un financement public, en lien avec sa contribution au vivre ensemble.
L’IS porte le récit d’une transition citoyenne, juste et démocratique
Il exprime un changement de regard. Rempart contre le repli sur soi et l’illusion moderniste de la technologie et des experts, l’IS est cependant confrontée au double écueil de sa récupération par des entreprises qui n’y verraient que de nouveaux marchés, et de sa mise en norme pour un passage à l’échelle qui nierait sa contextualisation. Autant de défis qu’on ne saurait négliger.
Nadine Richez-Battesti est la coautrice avec Eric Bidet du livre : innovation sociale - expérimenter et transformer à partir des territoires, Edition Les Petits Matins, 2024